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dimanche 5 janvier 2025

LA BATAILLE DE NANCY - 5 janvier 1477

LA BATAILLE DE NANCY - 5 janvier 1477 
Une victoire fondatrice pour le duché de Lorraine 

Dès l’accession au duché de Lorraine de René II le 2 août 1473, Charles de Bourgogne contesta
cette principauté, rêvant de l’incorporer à son patrimoine. La bataille qui s’ensuivit, régla
définitivement la question des prétentions bourguignonnes.


"La bataille de Nancy, 5 janvier 1477"
Miniature du manuscrit "La Nancéide" de Pierre de Blarru. 1518. (Musée Lorrain de Nancy)
A gauche, les Suisses et les Lorrains , René II en tête chargent les Bourguignons.
Au dessus, le duc de Bourgogne et son cheval sont morts.
Dans le coin inférieur droit, Campo Basso massacre les Bourguignons en fuite.
Dans le coin inférieur gauche, les forces alliées ont capturé les canons bourguignons
et les ont tournés vers l'ennemi. En plein champ, c'est la bataille qui fait rage.
Enfin, en haut, la ville de Nancy


Charles le Hardi (l’appellation de Téméraire est tardive) obtint avec le traité signé à Nancy le 15 octobre 1473 le droit de placer des garnisons bourguignonnes dans plusieurs forteresses lorraines lui permettant de relier toutes ses terres (la Bourgogne, le Charolais, la vallée de la Flandre, le Brabant, le Hainaut, l’Artois, la Picardie, le Luxembourg et le comté de Thionville.

Mécontent, le duc de Lorraine s’employa à harceler les troupes de Charles par des embuscades.


Déterminé, Charles mit le siège devant Nancy. Les bombardes bourguignonnes ébranlant petit à petit les remparts, René II préféra ordonner le 25 novembre aux 2 200 Allemands et aux 500 Gascons présents à ses côtés de quitter Nancy ; ils le feront le 27.


"Charles le Téméraire assiégeant Nancy, 22 octobre 1476"
 Enluminure tirée de "La Chronique de Lucerne" (1511-1513)
écrite par le chroniqueur Diebold Schilling der Jüngere (1460-1515) 
(Bibliothèque Centrale de Lucerne)


Nancy aux mains de Charles, Jean de Rubempré, seigneur de Bièvre, devint gouverneur de la Lorraine et chef de la garnison bourguignonne.

La révolte de René II de Lorraine 

Profitant du départ de Charles de Bourgogne le 14 février 1476 pour la Suisse où il voulait soumettre les « vachers » qui avaient pris plusieurs de ses châteaux, René II assiégea et reprit la cité ducale.


La nouvelle de cette prise indisposa Charles qui marcha en direction de la Lorraine avec 10 à 12 000 hommes. A Pont-à-Mousson, le combat faillit s’engager entre les deux factions mais René II préféra se retirer estimant son infériorité numérique trop défavorable.


Le duc de Bourgogne, qui avait accordé sa confiance au condottiere Napolitain Cola II de Monteforte, comte Campo Basso, un traître vendu au roi de France et au duc de Lorraine, fut abandonné par ce dernier.


Charles installa son quartier général à la commanderie Saint-Jean et ordonna le siège de Nancy dès le 22 octobre 1476. Entre temps, le duc de Lorraine avait quitté subrepticement sa capitale pour aller chercher de l’aide auprès des cantons suisses et des Alsaciens. La garnison lorraine et les habitants de Nancy promirent de tenir aussi longtemps que possible.


Gaston Save, La tente de Charles Le Téméraire à la Commanderie Saint Jean, 1896 
© Musée lorrain, Nancy


Arrivé à Bâle, le 2 novembre 1476, René II parvint à convaincre les cantons suisses de l’aider dans cette tâche ardue de recouvrer son duché. Il se porta ensuite à Berne et à Lucerne où il leur promit une forte somme. Le maître d’hôtel ducal, Suffren de Baschi fut alors chargé de se rendre à Nancy pour prévenir la garnison et ses habitants de la venue imminente du duc mais il fut capturé et pendu par les Bourguignons (en représailles René II demanda l’exécution d’une centaine de prisonniers).

Poursuivant sa campagne de recrutement, le duc de Lorraine arriva en Alsace pour convaincre les Alsaciens du bien fondé de sa requête. Guillaume Herter de Strasbourg accepta volontiers de l’aider. Pendant ce temps là, les Suisses se concentrèrent à Bâle avant de traverser l’Alsace où ils se livrèrent à de vils pillages. Oswald de Thierstein régla la somme de 2 500 florins, première solde promises aux combattants suisses et alsaciens, afin de s’assurer du soutien réel des Suisses.

L’assaut bourguignon du 26 décembre 1476 fut très coûteux en hommes, Charles perdit un tiers de ses effectifs. Le froid et la neige causèrent également la mort de 400 Bourguignons dans la nuit de Noël. Puis comme prévu, le 1er janvier, le comte de Campo Basso quitta le camp du duc Charles avec sa condotta prétextant d’aller au devant des renforts venant de Flandre ; en réalité, le duc de Lorraine lui avait garanti la seigneurie de Commercy en échange de son aide.

"L'armée lorraine quittant Saint-Nicolas de Port"
 Enluminure tirée de "La Chronique de Lucerne" (1511-1513)
écrite par le chroniqueur Diebold Schilling der Jüngere (1460-1515) 
(Bibliothèque Centrale de Lucerne) 


Le 3 janvier 1477, René II passa à Croismare et le 4 arriva à Saint-Nicolas-de-Port, point de ralliement des combattants, dans la matinée. Les Suisses, les Allemands et les Alsaciens y parvinrent dans l’après-midi. Une lanterne fut placée sur le clocher de l'église de Saint-Nicolas (pas la basilique que l'on connaît aujourd'hui) pour signaler aux Nancéiens l’arrivée imminente de leur duc.

 Arbalétrier lorrain. Reconstitution de la Compagnie Médiévale
"Historica Tempus" de Ludres. Janvier 2017.

Les forces en présence et le champ de bataille 

Les sources bourguignonnes d’Olivier de la Marche et de Jean de Margny apportent de maigres renseignements. Par contre, du côté des alliés, les informations sont plus loquaces avec notamment les récits vivants des Lucernois Peterman Etterlin et Diebold Schilling et de Pierre de Blarru, personnages ayant prit part à la bataille. Enfin, la chronique de Lorraine, source à ne pas négliger, est néanmoins à considérer avec prudence.

La composition des deux armées était hétéroclite. En effet, René II avait réussit à réunir près de 20 000 combattants (dans « La vraye déclaration du fait et conduite de la bataille de Nancy », René II indiqua que son armée comprenait de 19 à 20 000 hommes) venant de Suisse, d’Alsace et d’ailleurs ; Charles de Bourgogne en rassembla entre 6 000 et 10 000 dont des Hollandais, Savoyards, Anglais et mercenaires italiens. 
 
 Combattant lorrain. Reconstitution de la Compagnie Médiévale
"Historica Tempus" de Ludres. Janvier 2017.

Les coalisés 

Les contingents de cavaliers lorrains étaient sous le commandement de René II et de son maréchal le comte Oswald 1er de Thierstein. Les Suisses, qui composaient le noyau principal du duc de Lorraine avec 6 000 volontaires (piquiers, hallebardiers et couleuvriniers), venaient de Zurich (2 430 hommes), de Lucerne (1 200 hommes), de Berne (1 087 hommes) et d’autres ortes (Schaffouse, Soleure, Appenzell, Fribourg, Unterwald et Uri). Le lucernois Henrich Hassfurter, le zurichois Hans Waldmann et le bernois Brandolfe de Stein en étaient les principaux capitaines.

Combattants lorrains. Reconstitution de la Compagnie Médiévale
"La Massenie de Saint-Michel" de Saint-Mihiel. Blâmont 7 juillet 2003.

Les Alsaciens (de Colmar et de Strasbourg), sous les ordres du strasbourgeois Guillaume Herter de Hertenegg et les Bâlois fournirent chacun un contingent d’infanterie. L’abbé de Saint-Gall, le comte Eberhard VI de Wurtemberg et les cités de Schaffhouse et de Rothweil envoyèrent des cavaliers. Au dessus de cette armée, flottaient les bannières et pennons des évêques de Bâle et de Strasbourg ainsi que du duc d’Autriche, Sigismond.



Combattants Suisses, couleuvriniers, piquiers et hallebardiers.
Pierre de Blarru. La Nancéide
Gravure sur bois. 151. Imprimé à Saint-Nicolas-de-Port par Jean Jacobi
(Bibliothèque municipale de Besançon)


René II connaissait bien les Suisses et les Strasbourgeois pour avoir combattu à leurs côtés à Morat avec 250 cavaliers. Il fut même adoubé à cette occasion par Guillaume Herter de Hertenegg dans la clairière de Lurtingen le 22 juin à l’âge de 20 ans.

Le condottiere napolitain Cola II de Monteforte, accompagné de ses fils, de son frère Angelo et de son cousin Jean apporta son aide à René II en le rejoignant avec 300 cavaliers. 


Doloire (XVe siècle)
Doloire et fléau d'arme à une boule hérissée de pointes (XVe siècle)
(Collection Mr Crouzier, association Connaissance et Renaissance de la basilique de Saint-Nicolas-de-Port)
Fléau d'arme à une boule hérissée de pointes (XVe siècle)


Les Bourguignons 

L’armée du duc de Bourgogne offrait une bien piètre image depuis les cinglantes défaites de Grandson et de Morat en mars et juin 1476. Il paraissait donc normal que Charles de Bourgogne ne put constituer une armée à la hauteur de ses ambitions. Nous savons que le 8 décembre 1476, environ 10 000 hommes furent payés pour leur service par le prince mais les conditions météorologiques et les conflits larvés entamèrent ce potentiel militaire. A ses côtés se trouvaient entre autres son frère le Grand-Bâtard Antoine, Philippe de Croy comte de Chimay, Engelberg II comte de Nassau-Dillenburg, Frédéric de Florsheim comte de Bade, Philippe de Hochberg comte de Neufchâtel et Olivier de la Marche.

 Bataille de Nancy - Les Bourguignons sous les murs de la commanderie Saint-Jean
(Diorama évoquant la bataille, réalisée par Mr Richard)

Deux corps de cavalerie étaient commandés par Josse de Lalaing et le condottiere napolitain Jacques de Galeotto. Charles avait prévu des pièces d’artillerie. Des archers anglais montés, des contingents savoyards et hollandais complétaient le dispositif.


Salade d'archer, camail et salade allemande à visière (XVe siècle)
 Salade d'archer, camail et salade allemande à visière (XVe siècle)
 (Collection Mr Crouzier, association Connaissance et Renaissance de la basilique de Saint-Nicolas-de-Port
et Mr Guichou, association Historica Tempus de Ludres)
Salade d'archer (XVe siècle)


Une bataille perdue d’avance 

Ce 5 janvier 1477, il neigeait. Après la lecture de la Cyropédie, Charles de Bourgogne rassembla ses troupes tôt dans la matinée. Il enfourcha son cheval noir dénommé Moreau et selon les récits de l’époque, lorsque son écuyer lui tendit son casque, le cimier au lion d’or le surmontant s’en détacha et tomba à terre ; le duc désabusé aurait prononcé "Hoc est signum Dei "(c’est un présage de Dieu).
  
LA BATAILLE DE NANCY - 5 janvier 1477
Plus ancienne représentation de la Bataille de Nancy
(Imprimée à Strasbourg en 1477) 

Il redoubla alors d’ardeur, se plaça au centre avec son artillerie (à l’emplacement exact de l’actuelle église Notre-Dame-de-Bonsecours) devant lui sur la route venant de Jarville, les archers anglais derrière, et demanda à Josse de Lalaing et ses cavaliers de prendre position sur sa droite et à Jacques Galeotto de s’installer avec ses hommes sur sa gauche. La Meurthe protégeait le flanc gauche et le bois de Saurupt le flanc droit.


Vous pouvez agrandir cette vignette en cliquant dessus !


En face, les coalisés venaient de Saint-Nicolas-de-Port, qu’ils avaient quitté à huit heures du matin. Ils s’arrêtèrent un peu avant le village de Jarville afin de déterminer le plan de bataille. Deux déserteurs Bourguignons capturés révélèrent à René II et à ses alliés la disposition des troupes du Téméraire ainsi que la configuration du terrain. Pendant toute la délibération, la neige tombait à gros flocons. Prendre le flanc droit tenu par la cavalerie de Lalaing était la clef de cette bataille.

Vous pouvez agrandir cette vignette en cliquant dessus !

L’ordre de marche fut alors décidé. René II remonta sur sa jument grise La Dame puis se plaça en tête de l’armée avec ses cavaliers lorrains. Le comte de Campo Basso fut envoyé à Bouxières-aux-Dames pour garder le pont et empêcher la fuite des Bourguignons par la route principale menant à Metz.


Vous pouvez agrandir cette vignette en cliquant dessus !


L’avant-garde (3 ou 400 cavaliers lorrains et français) commandée par le seigneur de Rosières-aux-Salines, Vautrin Wisse, emprunta alors le petit sentier contournant le bois de Saurupt, traversa le ruisseau de Heillecourt, passa à proximité de la ferme de la Malgrange, franchit le ruisseau de Jarville, coupa la route menant à Vandoeuvre, effaça le ruisseau de la Madeleine, progressa sous le couvert du bois de Saurupt et s’arrêta à la lisière de ce dernier à un kilomètre des positions bourguignonnes.

LA BATAILLE DE NANCY - 5 janvier 1477
 Lorrains achevant les Bourguignons

 Les piquiers, hallebardiers et couleuvriniers suisses ; René II et ses lieutenants Oswald de Thierstein en tête lui avaient emboîté le pas. Les combattants étaient éreintés après cette manoeuvre de contournement par ce froid glacial et cette neige abondante. En ce début d’après-midi, Charles de Bourgogne ne se doutait pas de la présence d’une telle force (400 cavaliers, 4000 couleuvriniers, 4000 piquiers, 3000 hallebardiers et 2000 hommes d’armes) sur son flanc droit, force prête à bondir.
 
 Le duc René II au cœur de la bataille, à cheval et paré de la croix de Jérusalem
(dessin de Pierre Joubert)


A 13 heures, la neige cessa de tomber et le soleil apparut; l’ordre d’attaquer fut alors donné. Les Suisses firent alors souffler trois longs et lugubres coups de trompe (cantons d’Uri et d’Unterwald !), signal de l’assaut. La surprise fut totale, les cavaliers de Josse de Lalaing submergés, reculèrent. 

L’artillerie de Charles impuissante, ne put refouler ce flux de combattants suisses, lorrains, alsaciens et allemands. Les couleuvriniers suisses avancèrent en déchargeant toutes leurs munitions, suivis des hallebardiers et des piquiers qui embrochèrent les Bourguignons encore vivants.

LA BATAILLE DE NANCY - 5 janvier 1477
 Bataille de Nancy - Les Suisses s'emparent des canons bourguignons.
(Diorama évoquant la bataille, réalisée par Mr Richard)

L’armée restée en face du Téméraire passa aussi à l’attaque. L’artillerie capturée fut retournée contre les Bourguignons. Les archers anglais infligèrent des pertes aux alliés mais rapidement, ils cédèrent face à cette marée humaine. Jacques de Galeotto, estropié, se retira en traversant au gué de Tomblaine puis s’enfuit vers le Nord.

La bataille de Nancy - Charles le Téméraire en plein combat
Enluminure tirée de "La Chronique de Lucerne" (1511-1513)
 écrite par le chroniqueur Diebold Schilling der Jüngere (1460-1515)
(Bibliothèque Centrale de Lucerne)


Le duc de Bourgogne et ses hommes assaillis de toute part se replièrent vers la commanderie Saint-Jean et vers Bouxières-aux-Dames. Rattrapés par les Suisses et les Lorrains, ils furent achevés près de l’étang Saint-Jean. Charles, blessé, s’écroula. Claude de Bauzemont, châtelain de Saint-Dié, acheva le Grand Duc d’un coup de hache sur la tête.


Bataille de Nancy - René II de Lorraine s'approchant des Bourguignons.
(Diorama évoquant la bataille, réalisée par Mr Richard)


René II et ses alliés font une entrée triomphale à Nancy. 

En fin de journée, René II demanda au condottiere s’il n’avait pas vu le duc de Bourgogne ; la réponse fut négative. Le duc de Lorraine fit quand même son entrée dans sa chère capitale. Mais, son esprit était accaparé par Charles, où était-il, avait-il fui ou était-il mort ?

Louis Robert - Entrée dans Nancy de René II victorieux. 1895
(Collection Musée Lorrain - Nancy)

Au cours du combat, Jean Max von Eckwersheim captura le comte de Nassau, Jean de Bidos, seigneur de Pont-Saint-Vincent, Antoine le Grand Bâtard et Guillaume de Rappolstein le comte de Chimay.

 D’après un chroniqueur suisse, 5 699 cadavres de Bourguignons gisaient dans la plaine nancéienne ; chiffre incluant vraisemblablement les combattants morts lors des sièges de Nancy. La petite armée de Charles perdit en tout cas les 2/3 de ses effectifs si l’on se réfère au nombre de compagnies d’archers anglais rentrés dans leur patrie en janvier et février 1477. Cette défaite fut cuisante et coûteuse en hommes.


Dague et éperon à ailette (XVe siècle) trouvés près de l'étang Saint-Jean 
(Conservés au Musée Lorrain de Nancy)


Les honneurs rendus au Téméraire 

Le lundi 6 janvier 1477, René II obnubilé par le Téméraire partit à sa recherche, interrogea des prisonniers, envoya des hommes arpenter la Lorraine et même au-delà. La prospection demeurait infructueuse quand le soir venu le Napolitain Cola de Montforte lui amena un jeune page romain, Baptiste Colonna. Celui-ci lui annonça qu’il était au service du prince tant recherché et qu’il l’avait vu s’effondrer à proximité de l’étang Saint-Jean.

Le lendemain, mardi 7, le page mena le duc de Lorraine dans le pré de Virelay non loin de l’étang Saint-Jean où il lui présenta son maître, étendu parmi d’autres cadavres. Il était nu, dépouillé de ses atours, la tête prise dans la glace, une joue dévorée par un loup et le corps piétiné par des chevaux.

http://patrimoine-de-lorraine.blogspot.fr/2017/03/tableau-demile-chepfer-le-corps-du.html
 Peinture d'Emile Chepfer - Le corps du Téméraire retrouvé près de l'étang Saint-Jean
(à voir en détails en cliquant ici !)



Le médecin portugais du Grand Duc, Lopo da Guarda fut mandé. Il fit une inspection rigoureuse de son prince, releva qu’il avait le crâne fendu par une hache, deux plaies profondes dans le bas des reins et les cuisses dues à des coups de piques ; puis le reconnut grâce à six signes : des dents manquaient à sa mâchoire, une cicatrice au cou (résultat d’un coup de lance à la bataille de Montlhéry), la trace d’un furoncle à l’épaule, des ongles très courts, un gros orteil au pied gauche, un ongle incarné et la trace d’une fistule au testicule droit.

Formellement identifié, la dépouille de Charles fut portée dans une maison de Nancy, chez Georges Marquiez ; son corps fut lavé puis revêtu d’une longue robe brodée et la tête couverte d’une toque rouge.

 Le duc de Lorraine, René II devant la dépouille
du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, le 12 janvier 1477.
Chronique de Louis XI, dite Chronique scandaleuse (1498-1502, par Jean de Roye)

Le samedi 11 janvier, l’embaumement du corps eut lieu et le lendemain, René II fit célébrer une messe à 6 heures du matin en la collégiale Saint-Georges. Enfin, le corps du Téméraire et celui de Jean de Rubempré furent inhumés dans le transept.

 Dépouille du duc de Bourgogne 
Pierre de Blarru. La Nancéide
Gravure sur bois. 151. Imprimé à Saint-Nicolas-de-Port par Jean Jacobi
(Bibliothèque municipale de Besançon)

Pour commémorer son succès, René II édifia un sanctuaire appelé Notre-Dame de la Victoire ou de Bonsecours dès 1484 sur le terrain même où se déroula le combat ; Olry de Blâmont, évêque de Toul la consacra en 1498. La cité de Saint-Nicolas-de-Port se dota également d’une magnifique basilique dès 1480, signe de la dévotion de René II qui participa financièrement à son édification.

LA BATAILLE DE NANCY - 5 janvier 1477
 Gravure sur bois rappelant la victoire de la Bataille de Nancy par Daniel Meyer 1976 ! 
(Collection privée)

*

Comme le souligna Pierre de Ram au XIXe siècle dans son Histoire des chroniques liégeoises au temps de Charles le Téméraire : « le duc perdit son trésor à Grandson, son honneur à Morat et la vie à Nancy ». A Nancy, comme à Héricourt et Morat, la bataille se déroula suivant trois axes : surprise, panique et massacre. La supériorité numérique des coalisés eut raison des Bourguignons.

La puissance bourguignonne s’éteignit après plus d’un siècle d’histoire orgueilleuse le 5 janvier 1477 à Nancy. Le Grand Duc mort, le rattachement de son duché à la couronne de France, théoriquement effectué le 31 janvier 1477, a en fait demandé une conquête marquée notamment par les soulèvements populaires de Dijon (1477), de Beaune et de l’Auxois (1478).



Olivier PETIT

Historien médiéviste

Créateur et administrateur des blogs


et la France Médiévale (http://lafrancemedievale.blogspot.fr)





Sources historiques:

Pierre de BLARRU, La Nancéide ou la Guerre de Nancy, traduction de F. Schütz, 1840.

Pierre de BLARRU, La Nancéide, poème consacré à la victoire remportée devant Nancy par le duc de Lorraine René II sur le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, le 5 janvier 1477, traduction de Jean Boës - (Collection "Etudes anciennes 32") - Editions De Boccard - 2006
Différentes chroniques

Bibliographie sélective :
 

La bataille de Nancy, catalogue de l’exposition 1477-1977, Musée Historique Lorrain.
Cinq centième centenaire de la bataille de Nancy 1477, Actes du colloque, 1977, Université Nancy II.
P. FREDERIX, La mort de Charles le Téméraire, Gallimard, 1971.
O. PETIT, La bataille de Nancy. Nouvelle Revue Lorraine - Décembre 2016-Janvier 2017
O. PETIT, La bataille de Nancy. Histoire antique et médiévale. Ed. Faton - Janvier-Février 2017 
C. PFISTER, Histoire de Nancy, Paris 1902-1909.  

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Copyright - Olivier PETIT - Patrimoine de Lorraine - 2011-2017 © Tous droits réservés

lundi 4 juillet 2016

LA BATAILLE DE BULGNEVILLE - 2 juillet 1431

Après la bataille de Nancy, je vous invite lire aujourd'hui l'article relatant la bataille
de Bulgnéville qui opposa, voilà 585 ans jour pour jour, le duc de Lorraine,
René d'Anjou, au comte de Vaudémont, Antoine de Lorraine.

La possession du duché de Lorraine était alors au cœur de cet affrontement.

La Bataille de Bulgnéville
La Lorraine à la merci du duc de Bourgogne
(2 juillet 1431)
__________________

Armoiries de René 1er de Lorraine
(British Library)


Localisation du champ de bataille entre Bulgnéville et Vaudoncourt
 (Vous pouvez agrandir la carte en cliquant ICI)


1. Les raisons de cette bataille ?

René d’Anjou devint duc de Bar et de Lorraine


Le décès du cardinal-duc Louis de Bar (1415-1430), le 26 juin 1430, changea la destinée de René d’Anjou, son petit neveu. Effet, ce dernier lui succéda tout naturellement car il assurait, de fait (dès le 13 août 1419 et renouvelé le 23 octobre 1420), la fonction ducale bien avant l'officialisation succédant au trépas du prélat. Peu de temps après, le duc de Lorraine, Charles II (1390-1431), décéda à son tour le 25 janvier 1431, laissant alors le duché entre les mains de son gendre.


Le château de Bar-le-Duc 
(à ses pieds s'est déroulé la bataille de Bar entre le duc Gozelon  et Eudes de Blois. La Lorraine était alors au cœur d'un conflit opposant le comte de Champagne et l'empereur du Saint-Empire-Romain-Germanique. Vous pouvez découvrir cette bataille déterminante en cliquant ICI)

Désormais le nouveau duc René 1er de Lorraine et de Bar, marquis de Pont-à-Mousson et comte de Guise, fit son entrée solennelle à Nancy le 30 janvier 1431. Il fut chaleureusement accueilli par la population et les autorités de la cité. Conduit à l’église Saint-Georges, il jura sur l'autel de "bonnement entretenir les droits de Loheregne" et confirma dans la foulée les privilèges de l’ancienne chevalerie et des villes du duché. Le 22 février 1431, il adressa des lettres aux établissements religieux pour leur assurer de sa protection en tant que grand avoué.

Nancy - La Porte de la Craffe
Nancy - La Porte de la Craffe

Antoine de Lorraine, comte de Vaudémont, contesta l’attribution du duché à René d’Anjou

En tant que dernier héritier mâle de la branche cadette (fils de Ferry 1er de Vaudémont et petit-fils du duc de Lorraine, Jean 1er), le comte Antoine de Vaudémont (1418-1458), baron de Joinville, sénéchal héréditaire de Champagne et seigneur de Rumigny, Boves et Florennes, contesta immédiatement la validité du second testament (daté du 13 janvier 1325) du duc Charles II qui faisait de René d'Anjou son successeur. Le comte de Vaudémont se sentait dépossédé du duché de Lorraine dont il estimait être l'unique dépositaire car il considérait que la succession ne pouvait se faire que par un héritier mâle.

En effet, pour lui, l'accession de René d'Anjou au titre ducal était contestable puisqu'il n'était que l'époux d'une princesse lorraine, Isabelle (fille de Charles II de Lorraine et de Marguerite de Bavière). La loi salique invoqué ne fut pas retenue, il suffit, pour cela, de se rappeler que le 13 décembre 1425, 142 chevaliers et écuyers du duché de Lorraine avaient reconnu René d’Anjou comme le futur successeur du duc Charles II, en acceptant la transmission par une femme. La grande majorité des vassaux du duc de Lorraine, des prélats et des cités ne voulaient vraiment  pas du comte de Vaudémont à la tête de la principauté lorraine.

Refusant la décision de l'assemblée, Antoine de Vaudémont, sûr de ses prétentions au trône, attaqua alors René d’Anjou à plusieurs reprises.

Gisants d'Antoine de Vaudémont et de sa femme, Marie d'Harcourt
(Nancy - Grande Rue - Église des Cordeliers)

Le 20 août 1429, une tentative de conciliation, autour de cinq arbitres, se tint entre les deux partis. Leur sentence resta lettre morte et, quelques mois plus tard, le comte de Vaudémont provoqua de nouveau le duc. Le 27 août 1430, le roi Charles VII de France demanda alors à Étienne de Vignoles dit La Hire (1390-1443) d’aider son beau-frère. La trêve durera jusqu’à la Noël.

Le 31 janvier 1431, depuis sa château de Vézelise (découvrez les superbes halles), Antoine de Vaudémont demanda à "son cher cousin" René 1er de Lorraine de réparer les dommages que ses troupes avaient causé sur ses terres de Brancourt et Montiers-sur-Saulx. Il refusa par la même occasion de le reconnaître comme "son" duc de Lorraine. Le 22 février suivant, il osa même se parer de ce titre en sommant toutes les villes lorraines à le reconnaître comme le seul souverain légitime selon la loi salique dont il se réclamait. Une nouvelle tentative de conciliation entre les deux partis échoua encore le 13 mars 1431.

Puis, profitant de l’absence de René 1er, le comte de Vaudémont entra dans la capitale ducale, en compagnie d'Antoine de Toulongeon (1385-1432), maréchal de Bourgogne, en arborant fièrement les armes de Lorraine et en se proclamant comme duc légitime. Il fut tout de même reçu par le conseil ducal qui examina sa requête. La réponse ne se fit pas attendre : il quitta, agacé, Nancy à l'annonce de l'invalidité de la loi salique dont il entendait bien se servir pour prendre la place de René d'Anjou sur le trône de Lorraine. La transmission de la fonction ducale par les femmes était tout à fait légale !

Le 7 avril 1431, René d’Anjou se rendit à Charmes pour recevoir l’hommage qui lui était dû par Thiébaut VIII, sire de Neufchâtel, gentilhomme bourguignon, pour les châteaux et seigneuries de Châtel-sur-Moselle et Bainville-aux-Miroirs. De retour à Nancy, le duc ordonna, le 11 avril, à ses baillis de Saint-Mihiel, Thierry d'Autel, et de Bar, Philibert de Doncourt, de sommer le comte de Vaudémont a prêter hommage pour le château de Vézelise et les autres forteresses du comté de Vaudémont. Évidemment, lorsque le bailli de Saint-Mihiel se présenta le 13 avril devant les murs de Vaudémont en compagnie de Warry de Fléville, conseiller ducal, Jean d'Autrainne, secrétaire ducal, et Jacquet Rolet, clerc mussipontain et notaire impérial, il fut accueillit froidement par le bailli de Vaudémont, Guérard de Pfaffenhoffen (découvrez la chapelle créée par ce seigneur dans l'église de Thélod), qui prétexta l'absence de son maître (le comte de Vaudémont se trouvait en Flandre auprès du duc de Bourgogne pour obtenir une aide militaire) pour ne pas rendre hommage à René d'Anjou.

Le 13 avril 1431, René d’Anjou apprit le refus de l’hommage que le comte Antoine de Vaudémont lui devait naturellement en tant que vassal. Le considérant comme félon, il ordonna, sur le champ, la saisie de ses fiefs. Excédé, René d’Anjou lui déclara même la guerre le 14 avril puis se présenta à Tours, au cours du mois de mai, où il obtint l’appui du roi de France, Charles VII, qui demanda à son bailli du Vermandois de lui prêter main-forte contre Antoine de Vaudémont. Le 1er juin 1431, le siège de la forteresse de Vaudémont commença et les terres alentours furent tout bonnement pillées et saccagées.

Le donjon roman de Vaudémont
 Le donjon roman de Vaudémont

La guerre ouverte se profilait donc entre les deux partis et chacun d'eux commença à constituer une armée !
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LA BATAILLE DE BULGNEVILLE - 2 juillet 1431
Le champ de bataille entre le ruisseau de l'Etang et celui de Vaudoncourt

2. La composition des forces en présence et l’engagement

L’armée de René d’Anjou


Les messagers envoyés auprès des différents princes étrangers et vassaux par le duc de Lorraine dans toutes les directions revinrent porteurs de bonnes nouvelles. De nombreux princes et grands seigneurs d'Allemagne et d'Alsace acceptèrent de venir combattre avec lui, sous le commandement d'Arnaud Guilhem de Barbazan (1360-1431) (sa biographie est ici), conseiller et chambellan de Charles VII, surnommé "le chevalier sans reproche". Ainsi, dans les rangs de l'armée de René d'Anjou, se trouvaient : Louis de Bavière, comte palatin d’Heidelberg (oncle maternel d’Isabelle de Lorraine), Conrad Bayer de Boppart (1415-1459), évêque de Metz, Robert de Sarrebruck damoiseau de Commercy, Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, Jean IV, comte de Salm, Jacob, Margrave de Bade (époux de Catherine de Lorraine, fille cadette de Charles II), Olry de Ribeaupierre, Thiébaut de Blâmont, Gaspard de Sierck, Jean II de Rodemack et du Maître-échevin de Toul. René 1er de Lorraine disposait ainsi de 6 000 cavaliers et de 1 500 hommes de pied, appuyés par quelques pièces d’artillerie.

Blasons de certains des combattants de l'armée de René 1er de Lorraine

L’armée bourguignonne du comte de Vaudémont

De son côté, Antoine de Vaudémont constitua, en Flandre, une troupe forte de 1 500 cavaliers. L’armée bourguignonne qui devait le soutenir fut placée sous le commandement général d’Antoine de Toulongeon, Maréchal de Bourgogne. Les seigneurs Antoine de Vergy (seigneur de Champlitte et de Rigny, Maréchal de France, Capitaine Général de Bourgogne, Gouverneur de Champagne et de Brie), Pierre de Bauffremont (Comte de Charny, seigneur de Molinot, Premier Chambellan du Duc Philippe Le Bon, Gouverneur du Duché de Bourgogne), Antoine de Croy (Seigneur de Renty, Grand Maitre de l’Hôtel du duc de Bourgogne, Gouverneur du Duché de Luxembourg et du Comté de Namur) et le sire de Mirebeau firent partie de l'armée bourguignonne. De nombreux chevaliers picards, artésiens, wallons et brabançons composaient également les rangs bourguignons. Vers la fin du mois de juin 1430, 1 000 cavaliers et 3 000 hommes d’armes et gens de trait, soutenus par de nombreuses pièces d’artillerie, firent ainsi mouvement vers le Barrois.

L'armée bourguignonne fut placée sous le commandement d'Antoine de Toulongeon, le maréchal de Bourgogne ; Antoine de Vaudémont ne faisait que l'épauler !

 Le Maréchal de Bourgogne, Antoine de Toulongeon
(Armorial équestre de la Toison d'Or)

 Antoine de Vergy
(Armorial équestre de la Toison d'Or)

 Pierre de Bauffremont
(Armorial équestre de la Toison d'Or)

 Antoine de Croy
 (Armorial équestre de la Toison d'Or)
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3. René d’Anjou tenta d’engager le combat

Averti des mouvements de troupes ennemis, René d’Anjou quitta le siège de Vaudémont en laissant quand même un contingent chargé de contenir la garnison. Il ordonna alors à son armée de prendre la direction du sud-ouest, afin de couper la route aux Bourguignons.

En apprenant la nouvelle, le Maréchal de Bourgogne jugea alors plus prudent de rebrousser chemin car il n'entendait pas livrer bataille aux Lorrains immédiatement. Il savait que son armée était, sur le papier, moins forte que celle du duc de Lorraine et pensait évidement au pire quand à l'issue de la bataille. Le lundi 1er juillet 1431, manquant de vivres et constatant que ses hommes avaient besoin de repos, Antoine de Toulongeon fit une halte prolongée aux environs du village de Sandaucourt où il fut décidé de recruter de nouveaux combattants pour constituer une armée aussi importante que celle du duc de Lorraine.

Le duc René 1er de Lorraine
(Armorial équestre de la Toison d'Or)

Le lendemain matin, sur les conseils de ses capitaines, Antoine de Toulongeon prit la décision de retourner en Bourgogne car il avait la conviction que de l'affrontement qui se profilait, serait un désastre ! Le comte de Vaudémont, dépité, ne comprit pas la réaction du maréchal de Bourgogne et lui fit savoir instamment. Antoine de Vaudémont, plein de rancœur, voulait en découdre !

LA BATAILLE DE BULGNEVILLE - 2 juillet 1431
 Bague dite au baiser trouvée sur le champ de bataille
 (Conservée au Musée rural de Bulgnéville)

Malgré le mécontentement du comte de Vaudémont, l''armée bourguignonne s'ébranla vers la Bourgogne pour échapper à celle du duc de Lorraine, mais arrivée près de Bulgnéville, Antoine de Toulongeon appris que René d’Anjou était sur le point de le rejoindre. Surpris par l’avancée rapide des troupes ducales, il décida de s'arrêter au sommet d’une butte située entre le village de Vaudoncourt et l’Étang, petit ruisseau qui coulait à ses pieds. Des bosquets et haies garnissaient le pourtour de ce dernier.

L'affrontement devenait inévitable et chacune des armées se préparait au combat !

LA BATAILLE DE BULGNEVILLE - 2 juillet 1431
Vigiles de Charles VII, fol. 77v : Bataille de Bulgnéville (BNF)
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4. Le combat

L’ordre de bataille des Bourguignons

La position prise par les Bourguignons était avantageuse et le Maréchal de Bourgogne le savait. La tactique bourguignonne visait à attendre l'ennemi dans une position défensive. Les archers et arbalétriers anglais se placèrent en avant de la ligne de défense et sur les ailes, en prenant soin de disposer près d’eux un pieu aiguisé, qu’ils pourront ficher dans la terre au moment de l’assaut ennemi. Les hommes d’armes et chevaliers démontés anglais et picards se positionnèrent au centre, malgré quelques protestations de la part des chevaliers qui voulaient se battre à cheval. Les chariots et le reste de l'armée (valets, pages et cantinières) se placèrent derrière la ligne de bataille. Enfin, les pièces d’artillerie, veuglaires et couleuvrines furent positionnées au centre et sur les côtés.

 Statuts, Ordonnances et Armorial de l'Ordre de la Toison d'Or



 L’ordre de bataille des Lorrains

Trois corps de bataille constituaient l'armée de René d'Anjou : l'aile droite, composée de chevaliers démontés était aux ordres Arnaud-Guilhem de Barbazan ; le centre, lui aussi constitué de chevaliers à pied, était dirigé par le duc de Lorraine et de Bar aux côtés duquel figuraient les comtes d'Heidelberg, de Salm et de Sarrewerden ; et enfin l'aile gauche, composée de chevaliers et cavaliers, était conjointement dirigée par Wisse de Conflans et le damoiseau de Commercy, Robert de Sarrebruck.

LA BATAILLE DE BULGNEVILLE - 2 juillet 1431
Fer à cheval trouvé sur le champ de bataille
 (Conservée au Musée rural de Bulgnéville)
 
René d’Anjou se positionne

Durant les préparatifs bourguignons, l’armée de René d’Anjou arriva à environ 500 mètres du camp adverse. Afin de signifier à Antoine de Vaudémont et Antoine de Toulongeon qu’il avait bien l’intention de leur livrer bataille, le duc de Lorraine leur envoya des hérauts d'armes accompagné de trompettes. La réponse du Maréchal de Bourgogne et du comte de Vaudémont fut sans équivoque, ils étaient prêt à se battre.

Arnaud-Guilhem de Barbazan conseilla plutôt la prudence et refusa d’engager tout de suite le combat car la bataille rangée était trop aléatoire vu la position dominante qu'avait pris l'ennemi. Il préconisa de forcer l’ennemi à quitter son promontoire en faisant le blocus. Malgré les conseils avisés du seigneur de Barbazan, le duc de Lorraine prit la décision d’attaquer immédiatement, persuadés de ne faire qu’une bouchée de cette armée bien inférieure en nombre. 

René 1er de Lorraine était alors certain de l'emporter ; son armée était la plus forte à ses yeux !


 Seigneurs de l'armée de René 1er de Lorraine

Le combat commence

Avant l'engagement, bon nombre d'écuyers furent adoubés comme la coutume l'exigeait. Le Maréchal de Bourgogne fit ensuite dresser en avant de ses lignes de quoi se restaurer, histoire de montrer au camp adverse, qu'ils n'avaient pas peur de se battre et qu'ils allaient ripailler avant de le faire.

LA BATAILLE DE BULGNEVILLE - 2 juillet 1431
 Pointes de flèche découvertes sur le champ de bataille
(Conservée au Musée rural de Bulgnéville)

Après deux heures de face à face dans la plaine, le combat s’engagea subitement vers dix ou onze heures du matin. La ligne de bataille des Barrois s’ébranla en direction des Bourguignons. Le Maréchal de Toulongeon ordonna alors au canonnier Jean Maréchal et à ses hommes d’ouvrir le feu. Les tirs de couleuvrines, ribaudequins et de veuglaires eurent un effet psychologique dévastateur.

Position des armées au début de la bataille
(d'après B. Schnerb)

Ensuite, les archers picards commencèrent un tir nourri contre les troupes de René d’Anjou qui accusèrent immédiatement le coup. Mais les Lorrains avancèrent quand même vers les lignes ennemis. Le seigneur de Barbazan, accompagné de l’avant-garde droite, se porta au devant de l’aile gauche bourguignonne pour tenter d'enfoncer les lignes ennemis. Malgré sa bravoure, il trouva la mort. Sa bannière fut mise à bas, ce qui provoqua la confusion dans les rangs lorrains.

LA BATAILLE DE BULGNEVILLE - 2 juillet 1431
Le ruisseau de l'Etang

L'attaque de Barbazan et le tir des pièces d'artillerie bourguignonnes

Pendant ce temps, René d’Anjou et ses hommes furent malmenés par les archers anglais et picards. Désorganisés, les Lorrains ne purent résister à l’avancée des hommes d’armes du maréchal de Toulongeon. Le combat tourna ensuite au carnage. Membres et têtes furent sectionnées, le sang coulait alors à flot et les cadavres commençaient à s’amonceler dans la plaine. La tactique bourguignonne semblait prendre le pas sur celle des Lorrains.

LA BATAILLE DE BULGNEVILLE - 2 juillet 1431
 Carreaux d'arbalète découverts sur le champ de bataille
(Conservés au Musée rural de Bulgnéville)

Le tir nourri des archers et arbalétriers picards et anglais

Arnaud-Guilhem de Barbazan
(Gravure du gisant qui se trouvait dans l'abbatiale de Saint-Denis)

L’aide, tant espérée, de l’aile gauche du damoiseau de Commercy, de Wisse de Conflans, de Robert de Baudricourt et de Jean d'Haussonville n'arriva jamais. Ces derniers préférèrent abandonner le champ de bataille tant qu’il était encore temps. Sentant la victoire à portée de main, le comte de Vaudémont pourchassa les Lorrains qui reculaient toujours devant la puissance de feu des archers et des arbalétriers Bourguignons. Vers midi, l’armée du duc de Lorraine était en pleine déconfiture, René et ses principaux chevaliers continuèrent cependant à lutter, mais bientôt couverts de blessures, ils durent s'incliner vers 13 heures. Un écuyer du Hainaut, Martin Frinart, s'empara du duc de Lorraine et de Bar, blessé au visage, et l'amena manu militari auprès de son maître, le comte de Vaudémont.

LA BATAILLE DE BULGNEVILLE - 2 juillet 1431
 Lame de couteau exhumée sur le champ de bataille
(Conservée au Musée rural de Bulgnéville)

L'enfoncement des lignes lorraines, la fuite des cavaliers
du damoiseau de Commercy et la capture de René d'Anjou

René d'Anjou fut alors conduit derrière un bosquet par éviter que le soustraire au regard du Maréchal de Bourgogne. Antoine de Vaudémont voulait, par cet acte, s'attribuer tout le mérite de cette capture. Mais Antoine de Toulongeon eut vent de cette dissimulation et entra dans un colère terrible contre son allié ; il invoqua alors son droit de préemption comme chef de "toute" l'armée, et demanda que le duc lui fut remis immédiatement. Antoine de Vaudémont s’exécuta et confia le duc aux hommes du maréchal qui l’emmenèrent aussitôt à Châtillon-sur-Seine.

LA BATAILLE DE BULGNEVILLE - 2 juillet 1431
 Vouge, arme d'hast découverte sur le champ de bataille
(Conservée au Musée rural de Bulgnéville)

Le Maréchal de Bourgogne dépêcha un chevaucheur auprès du duc de Bourgogne, Philippe le Bon (1419-1467), pour lui annoncer la victoire ! Le prince reçut cette nouvelle avec bonheur.
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5. Un lourd bilan pour les Lorrains et leurs alliés

Le 6 juillet 1431, soit six jours après le combat, les Bourguignons estimèrent que le camp adverse avait perdu entre 3 à 4 000 hommes, qu’ils soient prisonniers ou morts. Selon les sources de l'époque, les Lorrains déplorèrent entre 1 500 (dixit le héraut Berry) et 2 500 morts (selon le chroniqueur Enguerrand de Monstrelet)

Les chevaliers lorrains et alliés fait prisonniers

Liébaud d’Abaucourt, fils de ferry d’Abaucourt, écuyer et voué de Baccarat.
Collard des Armoises, seigneur de Fléville en Woëvre, fils aîné de Simon, écuyer.
Hue d’Autel, chevalier, seigneur d’Autel et sire d'Aspremont
Conrad Bayer de Boppart II, fils de Conrad Bayer de Boppart
Thierry Bayer de Boppart, frère du précédent
Philibert du Chastellet, chevalier
Jean de Fénétrange, chevalier
Warry de Fléville, chevalier et bailli des Vosges
Collard de Marley, chevalier et seigneur de Saulcy
Philippe de Nourroy, chevalier et seigneur de Port-sur-Seille
Renaud Paixel, chevalier, doyen de Verdun
Jean II de Rodemack et de Cronemberg
Jean III de Rodemack, chevalier, fils du précédent
Wainchelin de la Tour, fils de Gilles, bâtard de Luxembourg.
Friedrich Gentersberg, seigneur allemand
Saubelet de Dun, prévôt de Marville

Les seigneurs lorrains et alliés restés sur le champ de bataille

Arnaud-Guilhem de Barbazan
Hanry d’Abaucourt, écuyer, Jean d’Abaucourt, écuyer
Aubert d'Ourches, chevalier
Thierry d’Ancy, écuyer
Philippe des Armoises, écuyer
Ferry de Bacourt, écuyer,
Thiébaut de Barbas, chevalier
Jean de Bauffremont, écuyer
Hanry Bayer de Boppart
Hanry Bayer de Boppart II, fils du précédent
Ferry de Bauzemont, écuyer et châtelain de Saint-Dié
Jean de Bourlemont, chevalier
Jean de Chambley, chevalier
Didier de Chauffour, chevalier 
Jean de Crehange, chevalier
Guyot de Doncourt, écuyer
Philibert de Doncourt, frère du précédent
Odet de Germiny, écuyer
Huart de Gronaix, écuyer
Hanry de Gironcourt, écuyer
Jean de Gombervaux, petit-fils de Geoffroy de Nancy, chevalier
Guyot de Godoncourt, chevalier
Jean de Haraucourt, écuyer
Hanry d'Haroué, fils de Guy, chevalier
Jean de Houecourt, chevalier
Gérard de Jaulny, écuyer
Herbrand II de Landres, chevalier et seigneur de Briey
Gérard de Magnières, bailli des Vosges
Guyot de Mauléon, chevalier
Guyot de Mazirot, chevalier
Colin de Nancy, fils de Geoffroi, chevalier
Paul de Remicourt, chevalier
Olry de Ribeaupierre, chevalier
Olry de Ruppes, fils de Liébaut de Bauffremont
Rouillon de Sailly, chevalier
Jean IV, comte de Salm, fils de Jean, seigneur de Viviers
Jean 1er, comte de Sarrewerden, fils de Frédéric, comte de Moers
Warry de Savigny, chevalier
Perrin de Serrières, écuyer
Gaspard de Sierck, fils d’Arnould, chevalier
François de Sorbey, écuyer
Jean de Thuillières, chevalier
Warry de Tonnoy, chevalier
Jean de Villacourt, chevalier
Jean de Ville-sur-Illon, chevalier
Colin Wysse de Gerbéviller, écuyer et bailli de Lorraine allemande.
Johann Kämmerer von Worms, seigneur de Dalberg
Friedrich IV, comte de Fleckenstein
Heinrich von Horschersheim
Philipp von Ingelheim
Friedrich von Murtfort
Joffroyt de Beffort, beau-père de Conrad von Düne
Harteman von Rotzenhausen, fils de Hans von Rotzenhausen
Les deux fils de Friedrich Gentersberg
Hans Göler von Ravensburg
Albrecht Göler von Ravensburg


7. Epilogue : René d’Anjou captif et le règlement politique


Averties du résultat désastreux de la bataille, Isabelle de Lorraine et Marguerite de Bavière, sa mère, convoquèrent, dans l'urgence, le conseil ducal afin de prendre les mesures énergiques qui s'imposaient pour parer à la venue prochaine des Bourguignons. Des émissaires furent alors envoyés dans toutes les cités pour exhorter leurs dirigeants à rester fidèles à René d’Anjou. Le 14 juillet 1431, Isabelle demanda à Smassmann 1er, sire de Ribeaupierre (1398-1451) de lui envoyer un grand nombre d’hommes d’armes pour l'aider à défendre son duché contre. Elle fit aussi mettre le siège devant Vézelise, seconde capitale du comté de Vaudémont. Antoine de Vaudémont se refusa à livrer bataille à la duchesse, escomptant un règlement pacifique. Le 1er août 1431, une trêve fut signée. Mais à partir du 27 janvier 1432, les hostilités reprirent, le comte de Vaudémont se montrant pressant.

Après son séjour à Châtillon-sur-Seine, René d’Anjou fut enfermé dans la forteresse de Talant située près de Dijon, puis au château de Bracon. Il trouva le moyen de correspondre avec un Allemand fait prisonnier sur le champ de bataille de Bulgnéville avec lui. Libéré, ce dernier put l’avertir que le sire Robert de Baudricourt entendait le libérer. Cette tentative échoua lamentablement.

René d'Anjou, duc de Bar et de Lorraine
(Livre d'heures daté de 1436 - BNF)

Le 6 avril 1432, René d’Anjou obtint quand même sa remise en liberté à titre provisoire. Il promit alors de venir se constituer à nouveau prisonnier le 1er mai 1435. Ses deux fils Louis et Jean restèrent à Dijon comme otages à sa place. Il s’engagea aussi à remettre au duc de Bourgogne des lettres scellées par les principaux membres de la noblesse de Lorraine. Il s'engagea ensuite à livrer, en gage, ses forteresses de Clermont-en-Argonne, Bourmont, Charmes et Châtillon-sur-Saône. Le 12 avril 1432, la duchesse Isabelle de Lorraine, sa mère, les évêques de Metz et de Toul se rendirent à Lyon pour régler avec le duc de Bourgogne la libération du duc de Lorraine. René d’Anjou quitta enfin sa prison le 30 avril et fit son entrée officielle le 4 mai à Remiremont, accompagné d’un grand nombre de nobles et ecclésiastiques.

 Dijon - La Tour de Bar où fut enfermé René d'Anjou

La paix entre le duc de Lorraine et le comte de Vaudémont sera enfin officialisée grâce à l’action du sire de Neufchâtel, Thiébaut VIII (1386-1459), Grand Maître de France et Lieutenant Général des deux Bourgognes, qui, en loyal vassal du duc de Bar, René d’Anjou, s’était abstenu de participer à la querelle. Le sire de Neufchâtel devint aussi l’arbitre entre le duc Lorraine, son suzerain, et le duc de Bourgogne, dont il était l'un des prestigieux Chevaliers de la Toison d’Or. Grâce à son concours, une paix durable fut signée entre les deux ducs en 1437.

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Le comte de Vaudémont ne cessa de revendiquer la couronne de Lorraine, et ce jusqu'au 27 mars 1441, date à laquelle il admit la légitimé de René d'Anjou, soit presque dix ans après la bataille de Bulgnéville. Cependant, le 1er juillet 1457, il profita d’un différend entre le roi de France et le dauphin pour demander au duc de Bourgogne le partage du duché de Lorraine en sa faveur. Cette dernière tentative pour s’approprier le duché de Lorraine échoua car le duc Philippe III de Bourgogne ne souhaitait pas raviver d’anciennes querelles.

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René d'Anjou, duc de Bar et de Lorraine
(Médaillon de la galerie du Palais Ducal de Nancy)


La Rançon de René d’Anjou
Dijon, le 17 avril 1438

Fait prisonnier sur le champ de bataille de Bulgnéville, René d’Anjou fut dès lors l’otage du duc de Bourgogne, qui réclamait, comme de coutume, une forte rançon pour laisser son hôte retourner dans ses États.

La Bibliothèque Nationale de France conserve l’original sur papier d’un acte dans lequel les représentants de la noblesse d’Anjou et du Maine se portent caution pour la rançon du duc René. (Fonds Lorraine 239, n° 6).

Voilà donc, ci-dessous le texte original :

« Je, Thomas Bouesseau, secretaire de monseigneur le duc de Bourgoingne et de Brabant et garde du tresor des chartes de mondit seigneur à Dijon, certiffie à tous que j’ay receu pour mettre en icellui tresor, par la main de Jehan Thiryon, tresorier des païs de Bar et de Lorraine, certainnes lettres scellez de dix gentilz hommes des païs d’Aniou et du Maine, nommez en icelles lettres, soubz leurs seigns et seellez, par lesquelles ilz s’obligent, selon le contenu de leursdites lettres, envers modit seigneur de Bourgoingne, à paier à modit seigneur de Bourgoingne la somme de trois cens milles escuz que ils dient par lesdites lettres rester à paier par très hault et très puissant prince le Roy de Jherusalem et de Sicile à mondit seigneur de Bourgoingne, de la somme de quatre cens mille escuz sur quoy ilz dient que l’en a paié ou doit paier à icelui monseigneur de Bourgoingne la somme de cent mille escuz.
Ils s’obligent de paier ou deffaut dudit roy de Secile les termes escheuz et d’en venir hostaiges selon que declaré est en leursdites lettres, lesquelles j’ay receues sans preiudice du droit de mondit seigneur de Bourgoingne se lesdites seellez devoient estre bailliez de ladite somme de quatre cens mille escuz ou d’autre plus grant somme restant à paier que d’iceulx trois cens mille escuz.
Fait à Dijon, soubz mon seing manuel, presens les gens des comptes audit lieu, le XVIIe jour d’avril après Pasques, l’an mil CCCC trente et huit.
                                    Bouesseau »



Bibliographie sommaire :

Dom CALMET, Histoire de Lorraine. 1ère et 2e édition, 1740 et 1804.
M. PARISSE, Noblesse et Chevalerie en Lorraine médiévale, P.U.N, Nancy, 1982.
G. POULL, La Bataille de Bulgnéville 2 juillet 1431. Ses prisonniers et ses morts. Les Cahiers d’histoire, de biographie et de généalogie. N° 1. 1971.
G. POULL, La Maison ducale de Lorraine, PUN, Nancy, 1991.
B. SCHNERB, Bulgnéville (1431), l’État bourguignon prend pied en Lorraine, « Les Grandes Batailles, Ed. Economica, Paris, 1993.

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