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dimanche 5 janvier 2025

LA BATAILLE DE NANCY - 5 janvier 1477

LA BATAILLE DE NANCY - 5 janvier 1477 
Une victoire fondatrice pour le duché de Lorraine 

Dès l’accession au duché de Lorraine de René II le 2 août 1473, Charles de Bourgogne contesta
cette principauté, rêvant de l’incorporer à son patrimoine. La bataille qui s’ensuivit, régla
définitivement la question des prétentions bourguignonnes.


"La bataille de Nancy, 5 janvier 1477"
Miniature du manuscrit "La Nancéide" de Pierre de Blarru. 1518. (Musée Lorrain de Nancy)
A gauche, les Suisses et les Lorrains , René II en tête chargent les Bourguignons.
Au dessus, le duc de Bourgogne et son cheval sont morts.
Dans le coin inférieur droit, Campo Basso massacre les Bourguignons en fuite.
Dans le coin inférieur gauche, les forces alliées ont capturé les canons bourguignons
et les ont tournés vers l'ennemi. En plein champ, c'est la bataille qui fait rage.
Enfin, en haut, la ville de Nancy


Charles le Hardi (l’appellation de Téméraire est tardive) obtint avec le traité signé à Nancy le 15 octobre 1473 le droit de placer des garnisons bourguignonnes dans plusieurs forteresses lorraines lui permettant de relier toutes ses terres (la Bourgogne, le Charolais, la vallée de la Flandre, le Brabant, le Hainaut, l’Artois, la Picardie, le Luxembourg et le comté de Thionville.

Mécontent, le duc de Lorraine s’employa à harceler les troupes de Charles par des embuscades.


Déterminé, Charles mit le siège devant Nancy. Les bombardes bourguignonnes ébranlant petit à petit les remparts, René II préféra ordonner le 25 novembre aux 2 200 Allemands et aux 500 Gascons présents à ses côtés de quitter Nancy ; ils le feront le 27.


"Charles le Téméraire assiégeant Nancy, 22 octobre 1476"
 Enluminure tirée de "La Chronique de Lucerne" (1511-1513)
écrite par le chroniqueur Diebold Schilling der Jüngere (1460-1515) 
(Bibliothèque Centrale de Lucerne)


Nancy aux mains de Charles, Jean de Rubempré, seigneur de Bièvre, devint gouverneur de la Lorraine et chef de la garnison bourguignonne.

La révolte de René II de Lorraine 

Profitant du départ de Charles de Bourgogne le 14 février 1476 pour la Suisse où il voulait soumettre les « vachers » qui avaient pris plusieurs de ses châteaux, René II assiégea et reprit la cité ducale.


La nouvelle de cette prise indisposa Charles qui marcha en direction de la Lorraine avec 10 à 12 000 hommes. A Pont-à-Mousson, le combat faillit s’engager entre les deux factions mais René II préféra se retirer estimant son infériorité numérique trop défavorable.


Le duc de Bourgogne, qui avait accordé sa confiance au condottiere Napolitain Cola II de Monteforte, comte Campo Basso, un traître vendu au roi de France et au duc de Lorraine, fut abandonné par ce dernier.


Charles installa son quartier général à la commanderie Saint-Jean et ordonna le siège de Nancy dès le 22 octobre 1476. Entre temps, le duc de Lorraine avait quitté subrepticement sa capitale pour aller chercher de l’aide auprès des cantons suisses et des Alsaciens. La garnison lorraine et les habitants de Nancy promirent de tenir aussi longtemps que possible.


Gaston Save, La tente de Charles Le Téméraire à la Commanderie Saint Jean, 1896 
© Musée lorrain, Nancy


Arrivé à Bâle, le 2 novembre 1476, René II parvint à convaincre les cantons suisses de l’aider dans cette tâche ardue de recouvrer son duché. Il se porta ensuite à Berne et à Lucerne où il leur promit une forte somme. Le maître d’hôtel ducal, Suffren de Baschi fut alors chargé de se rendre à Nancy pour prévenir la garnison et ses habitants de la venue imminente du duc mais il fut capturé et pendu par les Bourguignons (en représailles René II demanda l’exécution d’une centaine de prisonniers).

Poursuivant sa campagne de recrutement, le duc de Lorraine arriva en Alsace pour convaincre les Alsaciens du bien fondé de sa requête. Guillaume Herter de Strasbourg accepta volontiers de l’aider. Pendant ce temps là, les Suisses se concentrèrent à Bâle avant de traverser l’Alsace où ils se livrèrent à de vils pillages. Oswald de Thierstein régla la somme de 2 500 florins, première solde promises aux combattants suisses et alsaciens, afin de s’assurer du soutien réel des Suisses.

L’assaut bourguignon du 26 décembre 1476 fut très coûteux en hommes, Charles perdit un tiers de ses effectifs. Le froid et la neige causèrent également la mort de 400 Bourguignons dans la nuit de Noël. Puis comme prévu, le 1er janvier, le comte de Campo Basso quitta le camp du duc Charles avec sa condotta prétextant d’aller au devant des renforts venant de Flandre ; en réalité, le duc de Lorraine lui avait garanti la seigneurie de Commercy en échange de son aide.

"L'armée lorraine quittant Saint-Nicolas de Port"
 Enluminure tirée de "La Chronique de Lucerne" (1511-1513)
écrite par le chroniqueur Diebold Schilling der Jüngere (1460-1515) 
(Bibliothèque Centrale de Lucerne) 


Le 3 janvier 1477, René II passa à Croismare et le 4 arriva à Saint-Nicolas-de-Port, point de ralliement des combattants, dans la matinée. Les Suisses, les Allemands et les Alsaciens y parvinrent dans l’après-midi. Une lanterne fut placée sur le clocher de l'église de Saint-Nicolas (pas la basilique que l'on connaît aujourd'hui) pour signaler aux Nancéiens l’arrivée imminente de leur duc.

 Arbalétrier lorrain. Reconstitution de la Compagnie Médiévale
"Historica Tempus" de Ludres. Janvier 2017.

Les forces en présence et le champ de bataille 

Les sources bourguignonnes d’Olivier de la Marche et de Jean de Margny apportent de maigres renseignements. Par contre, du côté des alliés, les informations sont plus loquaces avec notamment les récits vivants des Lucernois Peterman Etterlin et Diebold Schilling et de Pierre de Blarru, personnages ayant prit part à la bataille. Enfin, la chronique de Lorraine, source à ne pas négliger, est néanmoins à considérer avec prudence.

La composition des deux armées était hétéroclite. En effet, René II avait réussit à réunir près de 20 000 combattants (dans « La vraye déclaration du fait et conduite de la bataille de Nancy », René II indiqua que son armée comprenait de 19 à 20 000 hommes) venant de Suisse, d’Alsace et d’ailleurs ; Charles de Bourgogne en rassembla entre 6 000 et 10 000 dont des Hollandais, Savoyards, Anglais et mercenaires italiens. 
 
 Combattant lorrain. Reconstitution de la Compagnie Médiévale
"Historica Tempus" de Ludres. Janvier 2017.

Les coalisés 

Les contingents de cavaliers lorrains étaient sous le commandement de René II et de son maréchal le comte Oswald 1er de Thierstein. Les Suisses, qui composaient le noyau principal du duc de Lorraine avec 6 000 volontaires (piquiers, hallebardiers et couleuvriniers), venaient de Zurich (2 430 hommes), de Lucerne (1 200 hommes), de Berne (1 087 hommes) et d’autres ortes (Schaffouse, Soleure, Appenzell, Fribourg, Unterwald et Uri). Le lucernois Henrich Hassfurter, le zurichois Hans Waldmann et le bernois Brandolfe de Stein en étaient les principaux capitaines.

Combattants lorrains. Reconstitution de la Compagnie Médiévale
"La Massenie de Saint-Michel" de Saint-Mihiel. Blâmont 7 juillet 2003.

Les Alsaciens (de Colmar et de Strasbourg), sous les ordres du strasbourgeois Guillaume Herter de Hertenegg et les Bâlois fournirent chacun un contingent d’infanterie. L’abbé de Saint-Gall, le comte Eberhard VI de Wurtemberg et les cités de Schaffhouse et de Rothweil envoyèrent des cavaliers. Au dessus de cette armée, flottaient les bannières et pennons des évêques de Bâle et de Strasbourg ainsi que du duc d’Autriche, Sigismond.



Combattants Suisses, couleuvriniers, piquiers et hallebardiers.
Pierre de Blarru. La Nancéide
Gravure sur bois. 151. Imprimé à Saint-Nicolas-de-Port par Jean Jacobi
(Bibliothèque municipale de Besançon)


René II connaissait bien les Suisses et les Strasbourgeois pour avoir combattu à leurs côtés à Morat avec 250 cavaliers. Il fut même adoubé à cette occasion par Guillaume Herter de Hertenegg dans la clairière de Lurtingen le 22 juin à l’âge de 20 ans.

Le condottiere napolitain Cola II de Monteforte, accompagné de ses fils, de son frère Angelo et de son cousin Jean apporta son aide à René II en le rejoignant avec 300 cavaliers. 


Doloire (XVe siècle)
Doloire et fléau d'arme à une boule hérissée de pointes (XVe siècle)
(Collection Mr Crouzier, association Connaissance et Renaissance de la basilique de Saint-Nicolas-de-Port)
Fléau d'arme à une boule hérissée de pointes (XVe siècle)


Les Bourguignons 

L’armée du duc de Bourgogne offrait une bien piètre image depuis les cinglantes défaites de Grandson et de Morat en mars et juin 1476. Il paraissait donc normal que Charles de Bourgogne ne put constituer une armée à la hauteur de ses ambitions. Nous savons que le 8 décembre 1476, environ 10 000 hommes furent payés pour leur service par le prince mais les conditions météorologiques et les conflits larvés entamèrent ce potentiel militaire. A ses côtés se trouvaient entre autres son frère le Grand-Bâtard Antoine, Philippe de Croy comte de Chimay, Engelberg II comte de Nassau-Dillenburg, Frédéric de Florsheim comte de Bade, Philippe de Hochberg comte de Neufchâtel et Olivier de la Marche.

 Bataille de Nancy - Les Bourguignons sous les murs de la commanderie Saint-Jean
(Diorama évoquant la bataille, réalisée par Mr Richard)

Deux corps de cavalerie étaient commandés par Josse de Lalaing et le condottiere napolitain Jacques de Galeotto. Charles avait prévu des pièces d’artillerie. Des archers anglais montés, des contingents savoyards et hollandais complétaient le dispositif.


Salade d'archer, camail et salade allemande à visière (XVe siècle)
 Salade d'archer, camail et salade allemande à visière (XVe siècle)
 (Collection Mr Crouzier, association Connaissance et Renaissance de la basilique de Saint-Nicolas-de-Port
et Mr Guichou, association Historica Tempus de Ludres)
Salade d'archer (XVe siècle)


Une bataille perdue d’avance 

Ce 5 janvier 1477, il neigeait. Après la lecture de la Cyropédie, Charles de Bourgogne rassembla ses troupes tôt dans la matinée. Il enfourcha son cheval noir dénommé Moreau et selon les récits de l’époque, lorsque son écuyer lui tendit son casque, le cimier au lion d’or le surmontant s’en détacha et tomba à terre ; le duc désabusé aurait prononcé "Hoc est signum Dei "(c’est un présage de Dieu).
  
LA BATAILLE DE NANCY - 5 janvier 1477
Plus ancienne représentation de la Bataille de Nancy
(Imprimée à Strasbourg en 1477) 

Il redoubla alors d’ardeur, se plaça au centre avec son artillerie (à l’emplacement exact de l’actuelle église Notre-Dame-de-Bonsecours) devant lui sur la route venant de Jarville, les archers anglais derrière, et demanda à Josse de Lalaing et ses cavaliers de prendre position sur sa droite et à Jacques Galeotto de s’installer avec ses hommes sur sa gauche. La Meurthe protégeait le flanc gauche et le bois de Saurupt le flanc droit.


Vous pouvez agrandir cette vignette en cliquant dessus !


En face, les coalisés venaient de Saint-Nicolas-de-Port, qu’ils avaient quitté à huit heures du matin. Ils s’arrêtèrent un peu avant le village de Jarville afin de déterminer le plan de bataille. Deux déserteurs Bourguignons capturés révélèrent à René II et à ses alliés la disposition des troupes du Téméraire ainsi que la configuration du terrain. Pendant toute la délibération, la neige tombait à gros flocons. Prendre le flanc droit tenu par la cavalerie de Lalaing était la clef de cette bataille.

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L’ordre de marche fut alors décidé. René II remonta sur sa jument grise La Dame puis se plaça en tête de l’armée avec ses cavaliers lorrains. Le comte de Campo Basso fut envoyé à Bouxières-aux-Dames pour garder le pont et empêcher la fuite des Bourguignons par la route principale menant à Metz.


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L’avant-garde (3 ou 400 cavaliers lorrains et français) commandée par le seigneur de Rosières-aux-Salines, Vautrin Wisse, emprunta alors le petit sentier contournant le bois de Saurupt, traversa le ruisseau de Heillecourt, passa à proximité de la ferme de la Malgrange, franchit le ruisseau de Jarville, coupa la route menant à Vandoeuvre, effaça le ruisseau de la Madeleine, progressa sous le couvert du bois de Saurupt et s’arrêta à la lisière de ce dernier à un kilomètre des positions bourguignonnes.

LA BATAILLE DE NANCY - 5 janvier 1477
 Lorrains achevant les Bourguignons

 Les piquiers, hallebardiers et couleuvriniers suisses ; René II et ses lieutenants Oswald de Thierstein en tête lui avaient emboîté le pas. Les combattants étaient éreintés après cette manoeuvre de contournement par ce froid glacial et cette neige abondante. En ce début d’après-midi, Charles de Bourgogne ne se doutait pas de la présence d’une telle force (400 cavaliers, 4000 couleuvriniers, 4000 piquiers, 3000 hallebardiers et 2000 hommes d’armes) sur son flanc droit, force prête à bondir.
 
 Le duc René II au cœur de la bataille, à cheval et paré de la croix de Jérusalem
(dessin de Pierre Joubert)


A 13 heures, la neige cessa de tomber et le soleil apparut; l’ordre d’attaquer fut alors donné. Les Suisses firent alors souffler trois longs et lugubres coups de trompe (cantons d’Uri et d’Unterwald !), signal de l’assaut. La surprise fut totale, les cavaliers de Josse de Lalaing submergés, reculèrent. 

L’artillerie de Charles impuissante, ne put refouler ce flux de combattants suisses, lorrains, alsaciens et allemands. Les couleuvriniers suisses avancèrent en déchargeant toutes leurs munitions, suivis des hallebardiers et des piquiers qui embrochèrent les Bourguignons encore vivants.

LA BATAILLE DE NANCY - 5 janvier 1477
 Bataille de Nancy - Les Suisses s'emparent des canons bourguignons.
(Diorama évoquant la bataille, réalisée par Mr Richard)

L’armée restée en face du Téméraire passa aussi à l’attaque. L’artillerie capturée fut retournée contre les Bourguignons. Les archers anglais infligèrent des pertes aux alliés mais rapidement, ils cédèrent face à cette marée humaine. Jacques de Galeotto, estropié, se retira en traversant au gué de Tomblaine puis s’enfuit vers le Nord.

La bataille de Nancy - Charles le Téméraire en plein combat
Enluminure tirée de "La Chronique de Lucerne" (1511-1513)
 écrite par le chroniqueur Diebold Schilling der Jüngere (1460-1515)
(Bibliothèque Centrale de Lucerne)


Le duc de Bourgogne et ses hommes assaillis de toute part se replièrent vers la commanderie Saint-Jean et vers Bouxières-aux-Dames. Rattrapés par les Suisses et les Lorrains, ils furent achevés près de l’étang Saint-Jean. Charles, blessé, s’écroula. Claude de Bauzemont, châtelain de Saint-Dié, acheva le Grand Duc d’un coup de hache sur la tête.


Bataille de Nancy - René II de Lorraine s'approchant des Bourguignons.
(Diorama évoquant la bataille, réalisée par Mr Richard)


René II et ses alliés font une entrée triomphale à Nancy. 

En fin de journée, René II demanda au condottiere s’il n’avait pas vu le duc de Bourgogne ; la réponse fut négative. Le duc de Lorraine fit quand même son entrée dans sa chère capitale. Mais, son esprit était accaparé par Charles, où était-il, avait-il fui ou était-il mort ?

Louis Robert - Entrée dans Nancy de René II victorieux. 1895
(Collection Musée Lorrain - Nancy)

Au cours du combat, Jean Max von Eckwersheim captura le comte de Nassau, Jean de Bidos, seigneur de Pont-Saint-Vincent, Antoine le Grand Bâtard et Guillaume de Rappolstein le comte de Chimay.

 D’après un chroniqueur suisse, 5 699 cadavres de Bourguignons gisaient dans la plaine nancéienne ; chiffre incluant vraisemblablement les combattants morts lors des sièges de Nancy. La petite armée de Charles perdit en tout cas les 2/3 de ses effectifs si l’on se réfère au nombre de compagnies d’archers anglais rentrés dans leur patrie en janvier et février 1477. Cette défaite fut cuisante et coûteuse en hommes.


Dague et éperon à ailette (XVe siècle) trouvés près de l'étang Saint-Jean 
(Conservés au Musée Lorrain de Nancy)


Les honneurs rendus au Téméraire 

Le lundi 6 janvier 1477, René II obnubilé par le Téméraire partit à sa recherche, interrogea des prisonniers, envoya des hommes arpenter la Lorraine et même au-delà. La prospection demeurait infructueuse quand le soir venu le Napolitain Cola de Montforte lui amena un jeune page romain, Baptiste Colonna. Celui-ci lui annonça qu’il était au service du prince tant recherché et qu’il l’avait vu s’effondrer à proximité de l’étang Saint-Jean.

Le lendemain, mardi 7, le page mena le duc de Lorraine dans le pré de Virelay non loin de l’étang Saint-Jean où il lui présenta son maître, étendu parmi d’autres cadavres. Il était nu, dépouillé de ses atours, la tête prise dans la glace, une joue dévorée par un loup et le corps piétiné par des chevaux.

http://patrimoine-de-lorraine.blogspot.fr/2017/03/tableau-demile-chepfer-le-corps-du.html
 Peinture d'Emile Chepfer - Le corps du Téméraire retrouvé près de l'étang Saint-Jean
(à voir en détails en cliquant ici !)



Le médecin portugais du Grand Duc, Lopo da Guarda fut mandé. Il fit une inspection rigoureuse de son prince, releva qu’il avait le crâne fendu par une hache, deux plaies profondes dans le bas des reins et les cuisses dues à des coups de piques ; puis le reconnut grâce à six signes : des dents manquaient à sa mâchoire, une cicatrice au cou (résultat d’un coup de lance à la bataille de Montlhéry), la trace d’un furoncle à l’épaule, des ongles très courts, un gros orteil au pied gauche, un ongle incarné et la trace d’une fistule au testicule droit.

Formellement identifié, la dépouille de Charles fut portée dans une maison de Nancy, chez Georges Marquiez ; son corps fut lavé puis revêtu d’une longue robe brodée et la tête couverte d’une toque rouge.

 Le duc de Lorraine, René II devant la dépouille
du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, le 12 janvier 1477.
Chronique de Louis XI, dite Chronique scandaleuse (1498-1502, par Jean de Roye)

Le samedi 11 janvier, l’embaumement du corps eut lieu et le lendemain, René II fit célébrer une messe à 6 heures du matin en la collégiale Saint-Georges. Enfin, le corps du Téméraire et celui de Jean de Rubempré furent inhumés dans le transept.

 Dépouille du duc de Bourgogne 
Pierre de Blarru. La Nancéide
Gravure sur bois. 151. Imprimé à Saint-Nicolas-de-Port par Jean Jacobi
(Bibliothèque municipale de Besançon)

Pour commémorer son succès, René II édifia un sanctuaire appelé Notre-Dame de la Victoire ou de Bonsecours dès 1484 sur le terrain même où se déroula le combat ; Olry de Blâmont, évêque de Toul la consacra en 1498. La cité de Saint-Nicolas-de-Port se dota également d’une magnifique basilique dès 1480, signe de la dévotion de René II qui participa financièrement à son édification.

LA BATAILLE DE NANCY - 5 janvier 1477
 Gravure sur bois rappelant la victoire de la Bataille de Nancy par Daniel Meyer 1976 ! 
(Collection privée)

*

Comme le souligna Pierre de Ram au XIXe siècle dans son Histoire des chroniques liégeoises au temps de Charles le Téméraire : « le duc perdit son trésor à Grandson, son honneur à Morat et la vie à Nancy ». A Nancy, comme à Héricourt et Morat, la bataille se déroula suivant trois axes : surprise, panique et massacre. La supériorité numérique des coalisés eut raison des Bourguignons.

La puissance bourguignonne s’éteignit après plus d’un siècle d’histoire orgueilleuse le 5 janvier 1477 à Nancy. Le Grand Duc mort, le rattachement de son duché à la couronne de France, théoriquement effectué le 31 janvier 1477, a en fait demandé une conquête marquée notamment par les soulèvements populaires de Dijon (1477), de Beaune et de l’Auxois (1478).



Olivier PETIT

Historien médiéviste

Créateur et administrateur des blogs


et la France Médiévale (http://lafrancemedievale.blogspot.fr)





Sources historiques:

Pierre de BLARRU, La Nancéide ou la Guerre de Nancy, traduction de F. Schütz, 1840.

Pierre de BLARRU, La Nancéide, poème consacré à la victoire remportée devant Nancy par le duc de Lorraine René II sur le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, le 5 janvier 1477, traduction de Jean Boës - (Collection "Etudes anciennes 32") - Editions De Boccard - 2006
Différentes chroniques

Bibliographie sélective :
 

La bataille de Nancy, catalogue de l’exposition 1477-1977, Musée Historique Lorrain.
Cinq centième centenaire de la bataille de Nancy 1477, Actes du colloque, 1977, Université Nancy II.
P. FREDERIX, La mort de Charles le Téméraire, Gallimard, 1971.
O. PETIT, La bataille de Nancy. Nouvelle Revue Lorraine - Décembre 2016-Janvier 2017
O. PETIT, La bataille de Nancy. Histoire antique et médiévale. Ed. Faton - Janvier-Février 2017 
C. PFISTER, Histoire de Nancy, Paris 1902-1909.  

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jeudi 20 septembre 2018

METZ (57) - Colloque "Le monnayage à Metz et en Pays Lorrain de l'Antiquité à nos jours" (27-29 sept 2018)

Pendant 3 jours, le Musée de La Cour d'Or co-organise et accueille le colloque
"Le monnayage à Metz et en Pays Lorrain de l'Antiquité à nos jours".

METZ (57) - Colloque "Le monnayage à Metz et en Pays Lorrain de l'Antiquité à nos jours" (27-29 sept 2018)

Retrouvez le programme complet en cliquant ici !

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samedi 10 mars 2018

SAINT-DIE-DES-VOSGES (88) - Conférence "Charles le Téméraire et la Lorraine" (25 mars 2018)

A la chapelle Saint-Roch de Saint-Dié-des-Vosges, l'historien Fabien Niezgoda, auteur
d'un ouvrage remarquable sur le sujet, propose une conférence sur
Charles le Téméraire et la Lorraine.

SAINT-DIE-DES-VOSGES (88) - Conférence "Charles le Téméraire et la Lorraine" (25 mars 2018)

Laissons la parole à Fabien Niezgoda :

"L’épisode est célèbre : Charles le Téméraire, puissant duc de Bourgogne, vaincu par les Lorrains
et les Suisses à Nancy le 5 janvier 1477, son corps gisant au bord d’un étang gelé, dévoré par les
loups… La mort du dernier grand prince féodal, adversaire du roi Louis XI, est retenue comme
une date majeure dans la consolidation de l’État monarchique français à la fin du Moyen Âge.
La Lorraine indépendante, de son côté, célébra longtemps l’anniversaire de la bataille de Nancy
comme sa fête nationale. Revenir sur cette page de notre histoire permet de mieux comprendre
ce qu’était la Lorraine du XVe siècle, et la place qu’elle occupa dans cet « État bourguignon »
en construction, qui s’étendait du Jura à la mer du Nord."

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mercredi 15 novembre 2017

LA BATAILLE DE BAR - 15 Novembre 1037

 Il y a 980 ans se tenait aux pieds du château de Bar, une terrible bataille pour la sauvegarde
de la Bourgogne et du Saint-Empire-Romain-Germanique ; l'armée lorraine du
duc Gozelon y joua un rôle déterminant.


La bataille de Bar
 15 novembre 1037
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A la mort du dernier roi de Bourgogne, Rodolphe III (993-1032), sa principauté se retrouva au cœur d'un conflit opposant deux hauts seigneurs : son neveu, le comte Eudes II de Blois (983-1037) et l’empereur du Saint-Empire-Romain-Germanique Conrad II le Salique (990-1039), époux de Gisèle, fille de Gerberge et sœur de Rodolphe III. La bataille de Bar (dite également d'Honol), qui s'engagea le 15 novembre 1037 au pied de la cité de Bar, mit un terme définitif au différend.

*

Dès 1016, le roi Rodolphe III de Bourgogne (993-1032), envisageant sa succession, décida, à Strasbourg, de confier son royaume à son neveu, l’empereur Henri II le Saint (1014-1024). A Mayence, en 1018, Henri II refusa le sceptre et la couronne, attributs de la fonction royale, que lui proposait le roi de Bourgogne. Son successeur désigné, Rodolphe III poursuivit donc l’administration de son royaume satisfait de son choix. Mais, le 13 juillet 1024, l'empereur mourut sans héritier, obligeant le roi de Bourgogne à choisir Conrad II le Salique (990-1039), nouvel empereur, comme son successeur.

 Charte savoyarde, datée de 996, montrant le sceau et le monogramme du roi Rodolphe III de Bourgogne
(Archives départementales de Savoie)


Avec la mort de Rodolphe III en 1032, l’empereur revendiqua immédiatement le trône bourguignon, sous couvert d'être le plus proche parent du défunt. La succession semblait cependant loin d’être réglée. En effet, le petit-fils de Rodolphe III, Eudes II, comte de Champagne, de Blois, de Chartres, de Troyes, de Meaux, de Beauvais, vicomte de Bourges et palatin du royaume de France, exigea la couronne de Bourgogne. La guerre entre Conrad II le Salique et Eudes II de Blois semblait donc inévitable, les deux prétendants restant sur leur position ! Chacun mobilisa alors ses forces en vue d'une guerre de succession de Bourgogne qui s'annonçait longue et meurtrière. Le comte Eudes de Champagne envahit donc la Bourgogne et s’empara successivement de Vienne, Neufchâtel et Morat.

Un territoire convoité

Après la Champagne et une partie de la Bourgogne, Eudes II de Blois envisagea, sereinement, la conquête de la Lorraine, terre d’Empire. Profitant de la faiblesse du roi de France, Henri 1er (1031-1060) et de l’éloignement de l’empereur Conrad II, il pénétra en Lorraine avec la ferme intention de s’emparer, en priorité, de la cité épiscopale de Toul. L'évêque Brunon d’Eguisheim (1002-1054) qui l’avait défié à Déville en 1033, allait subir la fureur des guerriers champenois. Le comte de Champagne fit donc mettre le siège devant Toul. Face à l’incroyable résistance des défenseurs, Eudes II ordonna, de rage, l’attaque des faubourgs en pillant et en incendiant notamment les abbayes Saint-Evre et Saint-Mansuy.




Porche d'entrée de l'abbaye Saint-Mansuy de Toul

Porche d'entrée de l'abbaye Saint-Evre de Toul

Apprenant l'arrivée prochaine de l'armée impériale à Toul, Eudes II, qui n'était pas prêt à l'affronter, préféra lever le siège et rebrousser chemin vers la Champagne.

Le danger écarté, l’évêque Brunon de Toul, qui craignait encore pour sa vie et celles de ses ouailles, décida de réunir le roi Henri 1er de France, l’empereur Conrad II et l’abbé Poppon de Stavelot (1020-1048) afin définir la politique à adopter à l’égard du comte de Champagne. L’empereur, excédé par les agissements répétés d'Eudes II, décida de se porter en Lorraine pour le chasser définitivement et asseoir son pouvoir. Ainsi, au cours du mois d’août 1033, Conrad II arriva en Lorraine avec son armée, qui prit ses quartiers aux portes de la cité meusienne de Saint-Mihiel. L’abbé Nanthère (1020-1044) reçut l’empereur comme il se doit. Après trois jours de repos, l’armée impériale se remit en route pour en découdre avec Eudes II, qui préférait mettre de la distance entre lui et Conrad II. Les terres champenoises subirent alors la fureur des impériaux, qui pillaient et incendiaient les moindres villages, escomptant ainsi faire plier Eudes II. Les razzias impériales eurent raison de ce dernier qui, se sentant traqué et exsangue, demanda la paix.

Dessin d'un denier d'argent du duc Gozelon, trouvé au Danemark
(Musée Christian Jürgensen Thomsen de Copenhague)

Pour négocier cette trêve, Eudes II s’adressa alors à Gozelon (967-1044), duc de Mosellane (région comprenant la Haute et Basse Lorraine. En latin, "Gozelo dux Mosellanorum atque Lothariensiu", Vita Reginardi) et à l'évêque de Metz, Thierry de Luxembourg (1006-1047). Conrad II accepta de les recevoir à l'abbaye de Saint-Mihiel. Le comte de Champagne renonça alors solennellement, devant témoins, à toutes ses prétentions sur le royaume de Bourgogne en promettant de réparer les dégâts commis par ses hommes lors du siège de Toul. Satisfait de sa soumission, l’empereur remercia les moines de Saint-Mihiel pour leur accueil et rentra dans ses états.

Dessin du Sceau d'Eudes de Blois. Début XIe siècle.
(Cabinet des médailles de la BNF)

A peine Conrad II eut-il franchit le Rhin, qu'Eudes II, qui ne souhaitait pas en rester là, pénétra de nouveau en Lorraine. Alerté, l'empereur pesta contre son cousin et décida, à Ratisbonne, de dépêcher une nouvelle armée en Champagne pour Pâques 1034. Il voulait ainsi soumettre le comte Gérold II de Genève (1020-1080) et l’archevêque Bouchard de Lyon (1023-1068), principaux soutiens actifs du comte de Champagne.

Ainsi, au mois de juin 1034, Conrad II établit un plan visant à prendre en tenaille la Bourgogne. Pendant que le gros de l'armée impériale arrivait par le nord en passant le Jura, les forces conjuguées de l’archevêque de Milan, Ariberto da Intimiano (1018-1045) et du marquis de Montferrat, Guillaume III Longue-Epée (991-1042) progressaient depuis le sud en franchissant les Alpes. Conrad II enleva Neuchâtel puis se porta à Genève où le rejoignit les contingents alliés italiens. Accueillis par le comte de Savoie, Humbert aux Blanches Mains (1027-1048), le souverain du Saint-Empire-Romain-Germanique reçut immédiatement la soumission du comte Gérold II de Genève et de l’archevêque Bouchard de Lyon, qui craignaient la vindicte impériale. Le 1er août 1034, Conrad II le Salique ceignit solennellement la couronne de Bourgogne devant une large assemblée acquise à sa cause.

Un comte de Champagne déterminé !

Un peu dépité par la tournure des évènements, Eudes II de Blois, ne baissa pas pour autant les bras et entreprit de nouvelles chevauchées à travers toute la Lorraine de 1034 à 1036. Il harcela sans relâche les Lorrains en pillant, en détruisant et en rançonnant. Entre temps, en Italie, les villes lombardes et les seigneurs milanais se révoltèrent contre l'autorité impériale. Ne pouvant pas laisser la situation se dégrader, Conrad II mobilisa sur le champ une armée. Milan fut ainsi prise le 19 mai 1037 et son archevêque Ariberto incarcéré. Mais ce dernier réussit à s’enfuir et, avec les évêques de Vercueil, Crémone et Plaisance, eux-aussi lassés du gouvernement de Conrad II, promit à Eudes II de Blois de le soutenir dans sa quête de la couronne royale de Lombardie. Enthousiasmé par les propositions italiennes, qui lui laissaient même entrevoir la couronne du Saint-Empire-Romain-Germanique, le comte de Champagne pillât de plus belle la Lorraine, espérant pousser jusqu’à Aix-la-Chapelle où il escomptait ceindre la couronne impériale. Mais Eudes II ne se douta pas un seul instant qu’il allait affronter un adversaire à sa mesure, le duc Gozelon de Mosellane, fidèle vassal de l’empereur.

Château de Bar-le-Duc. XIe-XVe siècle. Courtine et porte romane.

Château de Bar-le-Duc. XIe-XVe siècle. Porte romane.

Avant d'affronter Gozelon et son armée, le comte de Champagne enleva, sans trop de difficultés, les cités de Commercy et Bar-le-Duc où il plaça des garnisons champenoises. Séjournant au château de Bar, Eudes profita pleinement de l’hospitalité lorraine en festoyant à grands frais. Mais la fête s'acheva le 15 novembre 1037, lorsque l'un de ses hérauts d'armes lui annonça la présence, dans la plaine, au pied du château, de l'armée conduite par le duc de Haute et Basse Lorraine, Gozelon. Faisant alors sonner le tocsin, Eudes rameuta tous ses hommes d'armes et chevaliers pour livrer la bataille qu’il entendait bien remporter contre les fidèles de l'empereur Conrad II !

Château de Bar-le-Duc. XIe-XVe siècle. Tour de l'Horloge.

Les forces en présence

L’armée lorraine était une armée de coalition constituée de troupes réunies, à la hâte, par le duc Gozelon. Ne pouvant compter sur certains seigneurs lorrains présents aux côtés de l’empereur en Italie, le duc sollicita l’aide du prince-évêque Réginard de Liège (1025-1037) qui lui répondit favorablement en constituant un important contingent de combattants Liégeois. Le comte Albert II de Namur (1031-1063), gendre de Gozelon (il avait épousé Régelinde (1005-1068)), accompagna les Liégeois et rallia le camp lorrain. L’évêque de Metz, Thierry de Luxembourg (1006-1047) accepta également de fournir à Gozelon un corps expéditionnaire placé sous les ordres du comte Gérard de Bouzonville (985-1045), fils du comte Adalbert 1er de Metz (955-1038) et cousin de l’empereur Conrad II. L’évêque Raimbert de Verdun (1025-1038), offrit aussi son aide à Gozelon en lui envoyant un contingent dirigé par l’abbé Richard de Saint-Vanne (1004-1046). Enfin, le duc fut secondé par son fils Godefroid IV le Barbu (997-1069).

Enluminure représentant des chevaliers. Manuscrit "De universo" de Raban Maur, vers 1020-1022 (Archives de l'abbaye du Mont-Cassin)

L’armée du comte Eudes II se composait de vassaux champenois et d’Ile-de-France. En dehors de son fils Thibaud (1019-1090) qui l’accompagnait, le comte Manassès de Dammartin (990-1037), fils de Hilduin 1er, les comte Dudon (?-1037) et vicomte Hervé (?-1037), Gilduin, vicomte de Chartres et comte de Breteuil (990-1060) et son fils Valéran (1010-1066) le suivirent dans son expédition. Leur fidélité semblait sans bornes car le comte de Champagne était un grand seigneur charismatique et persuasif.

Les chroniques médiévales insistent sur le fait que les Champenois étaient plus nombreux que les Lorrains et les Belges. Ainsi, au regard des pertes champenoises, il semblerait qu’Eudes disposait d’environ 8 à 10 000 combattants. Quand aux Lorrains, on peut estimer qu'ils étaient entre 3 et 6 000.

Fers de lances du XIe siècle
Musée de l’Histoire du  Fer à Jarville-la-Malgrange

La position des belligérants sur le champ de bataille

En ce mardi 15 novembre 1037, le duc Gozelon, son fils Godefroid et l’abbé de Saint-Vanne se placèrent au centre ; à leur gauche, se positionnèrent les Liégeois de l’évêque Réginard et les Namurois du comte Albert II, et à leur droite, les Messins du comte Gérard de Bouzonville.

En face, à trois cent mètres environ, le comte Eudes II et Thibaut de Blois occupèrent le centre avec un corps de cavalerie en avant ; à leur gauche, Manassès de Dammartin, Valéran et Gilduin de Breteuil dirigeait l'un des corps de bataille ; et à leur droite, les comte Dudon et Hervé était les chefs du second corps de bataille !

La bataille commence

Pour la majorité des chroniques et sources médiévales (une trentaine), cette bataille est mentionnée de manière succincte, en 1 ou 2 lignes. Seuls, les récits de Raoul Glaber, de Jacques de Bayon et de la Vie de Réginard, permettent d’avoir une vision globale de cet affrontement, grâce au recoupement des récits.

Ainsi, vers 9 heures, la plaine de l’Ornain retentit des cris de défiance des combattants des armées ennemies. La tension était palpable et l’envie d’en découdre bien là. Dans les deux camps, chevaliers, écuyers et hommes d’armes trépignaient d’impatience. Qui allait engager le combat le premier ?



Avant l’engagement, l’abbé Richard de Saint-Vanne de Verdun béni l’armée de Gozelon et proposa la communion à chacun des combattants. Pour le prélat, l’issue de la bataille ne faisait aucun doute et il le fit savoir, haut et fort, aux hommes du duc. Ces derniers galvanisés était prêt à en finir avec l'arrogant comte de Champagne.



Entre 9h et 9h30, Eudes II entra le premier en scène, demanda notamment à ses cavaliers de charger, lance baissée, vers le corps de bataille de l’évêque de Liège et d'Albert II de Namur. Après une franche galopade et le franchissement du ruisseau Naveton, les cavaliers champenois arrivèrent au contact des Liégeois et des Namurois. Le choc fut si terrible que la ligne belge fut enfoncée. Une mêlée furieuse s’ensuivit où chacun tentait de sauver sa vie. Peu à peu le sol fut jonché de corps éventrés, bras,  jambes et têtes tranchées. La folie s'était emparé des combattants de deux camps.



Vers 10h30, tous les corps de bataille du comte de Champagne se portèrent sur l’aile gauche du duc Gozelon. Furieux de la tournure des évènements – les Champenois et les Français prenaient le dessus – l’évêque de Liège exhorta ses combattants à faire preuve de courage et d’abnégation pour repousser l’ennemi. L'engagement brutal dura près d’une heure au cri des guerriers et au son des épées et lances s'entrechoquant. Le combat tourna peu à peu à l’avantage d’Eudes II de Blois. Les Belges submergés, commencèrent alors à refluer vers l’arrière. Voyant ce triste spectacle, le duc de Mosellane prit immédiatement la décision de porter assistance au prélat liégeois et au comte de Namur, alors en pleine détresse.



L’arrivée des Lorrains, vers 11h30, changea la donne. Revigoré par la venue de Gozelon, Réginard de Liège regroupa ses combattants et épaula le duc de Mosellane pour contenir et même repousser Eudes II. Albert II de Namur se jeta sur les Champenois avec une telle fougue qu'il s’ouvrit un chemin à coup d’épée, sectionnant membres et décapitant les coutiliers et écuyers ennemis. Les combattants s’affrontèrent sans retenue, sous le poids des hauberts, les chevaliers démontés et les hommes d’armes s’enlisèrent dans un sol détrempé par la pluie, la sueur et le sang. Eudes II de Blois, plein de fougue, exhorta encore ses compatriotes à se surpasser pour reprendre le dessus sur ses "chiens" de Lorrains. Fendant l’air, fracassant crânes, coupant bras et jambes, les comtes Dudon et Hervé, Manassès de Dammartin, Gilduin et Valéran de Breteuil tentèrent, tant bien que mal, de reprendre le dessus. La confusion régnait dans un fracas d'armes, accompagné de cris et de râles.


L'entrée dans la bataille des combattants de Gérard de Bouzonville et des Messins, vers 14h, produisit immédiatement son effet. Les combattants messins voulaient en finir avec Champenois ; leur charge fut si percutante que ces derniers et leurs alliés d’Ile-de-France commencèrent à comprendre que la fin était proche. Javelots et lances volèrent, épées et haches tourbillonnent au-dessus de la mêlée; l’engagement fut passionné. Bientôt, le sol boueux imbibé de sang recueillit les cadavres qui s'amoncelèrent au fur et à mesure que les Lorrains prenaient l'avantage. Peu à peu l’étau se resserra autour des fidèles du comte de Champagne.



Vers 16h, l’encerclement fut effectif et la tuerie, qui s'ensuivit, commença. Les comtes Dudon, Hervé, et Manassès de Dammartin perdirent la vie dans un dernier sursaut d’orgueil. Gilduin de Breteuil, blessé, et son fils Valéran échappèrent de justesse à une mort certaine, sauvés par l’abbé Richard de Saint-Vanne qui les revêtit d’un habit religieux.

L’issue de la bataille ne faisant maintenant plus de doute, Eudes II de Blois et son fils Thibaud s’enfuirent lâchement. Au moment même où le comte de Champagne se croyait définitivement à l’abri, un homme d’arme, prénommé Thierry (selon le chroniqueur "contesté" Jacques de Bayon), le désarçonna et lui assena de violents coups sur tout le corps. Entre temps, Thibaut de Blois prit la poudre d’escampette, galopant allègrement vers la Champagne, sans se retourner ni même porter assistance à son père qui bientôt expire sous les coups répété son meurtrier. Ce dernier le dépouilla de son précieux reliquaire, qu'il portait sur lui, et de ses vêtements. Ainsi, le bouillonnant, tyrannique et ambitieux comte de Champagne gisait désormais inanimé dans la plaine.

Vomécourt-sur-Madon (Vosges) - Tympan roman figurant deux chevaliers s'affrontant
(Chacun des deux chevaliers arbore le casque sphéro-conique sans nasal et une cotte de maille ou haubert ;
celui de droite se protège avec le bouclier normand en amande si typique de cette époque et charge 
avec une épée à double tranchant de 1m, pesant 1,5 kg munie d’une poignée de bois recouverte de cuir ;
l’autre utilise une lance de 2m50 pour une charge frontale.)

La victoire de l'armée du duc Gozelon

La bataille s’acheva aux alentours de 17h par la victoire des alliés. Alerté de la mort d'Eudes II, les Lorrains et Belges partirent à sa recherche. Mais en raison de la tombée de la nuit, le duc Gozelon fit cesser les recherches. Elles reprirent le lendemain matin. En parcourant le champ de bataille, l’abbé Richard de Saint-Vanne de Verdun et l’évêque Roger de Chalons découvrirent le corps dénudé et défiguré d’un homme qui ressemblait à Eudes II de Blois. Selon le moine-chroniqueur clunisien Raoul Glaber, l’épouse du comte champenois, Ermengarde d'Auvergne (995-1041, fille du comte Guillaume IV), serait venue et aurait formellement identifier son époux grâce à un détail intime, une verrue entre l’anus et l’appareil génital (en latin "habebat enim verrucam inter genitalia et anus"). Le corps du défunt fut ensuite remit à sa femme et à ses fils, qui, en témoignage de leur gratitude, donnèrent à l’abbé de Saint-Vanne de Verdun une chasuble dorée, en promettant de faire de pieuses fondations.

D'après les Annales de l’abbaye d’Hildesheim, 6 000 Champenois auraient trouvé la mort dans la plaine. Quand aux alliés, ils perdirent environ 3 000 combattants. La victoire du duc Gozelon et de ses alliés rassura l’empereur Conrad II, qui était enfin débarrassé d’un encombrant compétiteur.


La Lorraine, qui fut le théâtre de chevauchés sanglantes (de 1033 à 1037) et d'une bataille gagnée avec détermination à Bar le 15 novembre 1037, retrouva la paix, sous le gouvernement du duc Gozelon, sauveur de la Bourgogne et du Saint-Empire-Romain-Germanique.

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Sources

Annales Elnonences majores
Annales Hildesheimenses
Annales Laubienses
Annales Sancti Vincentii Mettensis
Raoul Glaber, Les cinq livres de ses histoires 900-1044
Ruperti chronicon
Vita Reginardi

Bibliographie sélective

AIMOND. Ch., Histoire de Bar-le-Duc. Bar-le-Duc, 1982, 461 p.
ARBOIS DE JUBAINVILLE. H. d'., Histoire des ducs et des comtes de Champagne, Paris, 1859-1866, 6 vol.
BEAU. A., Deux journées qui ont marqué la destiné de la Lorraine : la bataille de Bar, 1037 ; la bataille de Nancy, 1477 in Le Pays Lorrain, n° 1, 1977, pp. 3-18.
BUR. M., La formation du comté de Champagne (vers 950-vers 1150), Nancy, 1977
LEX. L., Eudes, comte de Blois, de Tours, de Chartres et de Meaux (995-1037), Troyes, 1892.
PARISOT, R., Histoire de Lorraine, T. 1, Picard, Paris, 1925.

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